« Ça te dérange si je passe ce soir ? »
Camille hésite. Elle est épuisée, elle rêve juste d’un bain chaud et d’un bon livre. Mais les mots qui sortent de sa bouche sont : « Oui, bien sûr ! » Et, déjà, elle regrette et sent que la soirée va être trop au-delà de ses capacités pour qu’elle en profite vraiment.
Une autre fois, c’est elle qui propose un projet à un·e ami·e… et reçoit un « non » franc. Ce n’est pas méchant, juste clair. Pourtant, une petite voix intérieure se met à murmurer « Elle ne tient pas à toi… »
Ces deux situations, nous les avons tous·tes vécues. Elles nous montrent à quel point il est parfois difficile d’oser poser nos limites, et tout aussi difficile d’accueillir celles des autres sans nous sentir rejeté·e. Dans cet article, je vous invite à explorer ces deux compétences relationnelles essentielles, pour des liens plus vrais et équilibrés.

Oser dire non : poser ses limites avec confiance.
Comprendre l’importance de ses limites.
Poser ses limites est essentiel pour entretenir des relations saines, autant avec les autres qu’avec soi-même. Les limites ne sont pas des murs pour repousser les autres, mais plutôt des frontières qui protègent notre intégrité, notre bien-être et notre équilibre émotionnel. Dire non à quelqu’un ou à quelque chose, c’est d’abord dire oui à soi-même, reconnaître ce qui est juste et possible pour nous.
Pour illustrer ce que sont les limites, j’aime prendre l’exemple d’un chemin qui se sépare, lors d’une promenade avec un·e ami·e. Si l’ami·e me propose d’aller à droite, là où le chemin est escarpé, accidenté, où il y a peut-être des rochers à enjamber voire escalader, où il y a peut-être même simplement des pavés et des petits cailloux alors que mes chevilles sont fragiles… je peux préférer les chemni de gauche qui me semble beaucoup plus plat et reposant. Choisir ce chemin, ce n’est pas dire à ma·on ami·e que l’autre chemin est nul, c’est seulement lui dire « ce chemin ne me tente pas aujourd’hui. Tu as le droit d’aller sur celui là si tu veux, mais moi, je vais plutôt prendre celui de gauche et tu es la·e bienvenu·e si tu veux m’y rejoindre ».
Identifier ses limites demande une bonne connaissance de soi : savoir ce que l’on accepte, ce qui nous met mal à l’aise, ce qui nous fatigue ou nous blesse (voir exercice pratique en fin d’article).
Cette notion est largement soutenue par la théorie de l’attachement de John Bowlby, qui explique que la sécurité affective passe par la reconnaissance et le respect de ses propres besoins. Carl Rogers, dans son approche centrée sur la personne, insiste aussi sur l’importance d’être en accord avec ses émotions et ses valeurs, ce qui inclut le fait de poser des limites claires.
Pourquoi poser ses limites est si difficile ?
Dire non est un défi pour beaucoup, car on redoute souvent de blesser l’autre, de décevoir ou de perdre son affection. Comme tout ce qui concerne le consentement (voir article sur le consentement) ces peurs sont nourries par nos conditionnements familiaux, culturels ou sociaux qui valorisent la conformité et la disponibilité. On nous apprend souvent à « faire plaisir » et à « être gentil·le », souvent au détriment de nos propres besoins.
Selon la thérapie cognitive d’Aaron Beck, ces difficultés sont souvent liées à des pensées automatiques colorées par l’anxiété, notamment la peur du rejet et de l’abandon. Claude Steiner, dans l’Analyse Transactionnelle, a montré que nos « scripts » familiaux peuvent empêcher l’affirmation de soi, en nous poussant à répondre à des injonctions telles que « il ne faut pas déranger ».
Il est aussi fréquent de confondre l’affirmation de soi avec l’égoïsme. Pourtant, poser ses limites n’est pas un acte d’égoïsme mais un acte de respect mutuel. C’est reconnaître que chacun a droit à son espace personnel, à son rythme et à ses émotions. Comme imagé au paragraphe précédent, poser ses limites, c’est juste prendre un chemin différent, mais qui est bon pour soi.
Apprendre à exprimer ses limites avec clarté et bienveillance.
Poser une limite ne nécessite pas de longues explications compliquées, si on n’a pas envie d’en donner. Des mots simples, clairs, qui expriment un besoin ou un ressenti suffisent. Par exemple, dans la situation de Camille dans l’introduction de l’article : « Je ne suis pas disponible ce soir, j’ai besoin de temps pour moi. » Les longues justifications sont d’ailleurs parfois ce qu’on appelle une réponse traumatique : ici, un comportement mis en place suite à la négation de nos limites et besoins, par exemple. Elles peuvent aider dans l’apprentissage de l’expression des limites, mais ne sont pas nécessaires pour avoir le droit d’être respecté·e.
En fin d’article, je vous propose 2 outils pour structurer l’expression d’une limite.
La posture joue aussi un rôle important : une posture droite, un ton posé et calme renforcent l’affirmation de la limite. Daniel Goleman, dans son travail sur l’intelligence émotionnelle, souligne combien la conscience corporelle est indispensable pour communiquer avec authenticité.
Accueillir les limites de l’autre sans me sentir rejeté·e
Le non de l’autre ne parle pas toujours de moi.
Recevoir un refus peut être difficile, surtout quand on le perçoit comme un rejet personnel. Pourtant, il est important de comprendre que le non de l’autre est souvent une affirmation de ses propres besoins, limites ou choix, et que ça n’a rien à voir avec nous et notre valeur.
Murray Bowen, avec sa théorie de la différenciation du soi, explique que pour préserver notre identité, il est nécessaire de ne pas fusionner avec les émotions et réactions des autres. Accepter le non comme une expression autonome de l’autre aide à faire la part des choses, et à voir les différences comme des richesses pour la relation.
Mais alors pourquoi le non me touche si fort ?
La difficulté à recevoir un non vient souvent de blessures anciennes liées au rejet. Donald Winnicott a exploré la notion de « vrai » et « faux » self, montrant que le rejet peut ébranler notre sentiment d’authenticité et de sécurité intérieure. J’en parle plus en détail, avec une vision TCC, dans mon article sur le consentement.
John Bowlby, avec sa théorie de l’attachement, souligne comment les expériences précoces modèlent notre sensibilité au rejet et à l’abandon. On peut aussi confondre amour et validation constante, cherchant chez l’autre un miroir rassurant. Quand ce miroir dit non, ça peut réveiller des blessures profondes.
Apprendre à recevoir le « non ».
Accueillir un « non » demande un travail sur soi, une capacité à ne pas réagir impulsivement ou avec jugement. Jon Kabat-Zinn, pionnier de la pleine conscience, invite à observer nos émotions, à les accepter sans les fuir ni les nier. Cette technique est un outil intéressant pour prendre conscience de ce qui se passe en nous, pour ensuite travailler sur nos blessures et difficultés.
Se relier à sa propre valeur, indépendante du regard de l’autre, est fondamental. Si je vois le refus ou un « stop » comme un rejet de qui je suis ou comme une attaque personnelle, je ne laisse pas à l’autre la possibilité d’être pleinement ellui-même, et je risque d’être heurté·e à chaque fois que son chemin se séparera du mien même si ce n’est que le temps d’un virage.
Outils et exercices pratiques.
Identifier ses limites et s’entraîner à dire « non ».
Pendant une semaine au moins, chaque jour, notez dans un carnet une situation où vous avez ressenti un inconfort ou une gêne. Écrivez ensuite comment vous auriez pu poser une limite claire et bienveillante. Par exemple : « Aujourd’hui, j’ai accepté une invitation alors que j’étais trop fatigué·e. J’aurais aimé dire « C’est très gentil, mais ce soir j’ai besoin de me reposer« .
Poser une limite avec la CNV.
La communication non violente propose de poser nos limites selon 4 étapes. Vous pouvez vous y entraîner avec des situations qui vous mettent inconfrtable, ou des situations où vous avez accepté quelque chose que vous regrettez. Exemple :
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Observation : « Quand tu m’as demandé qu’on se voie ce soir«
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Sentiment : « Je me suis senti·e mal à l’idée de te dire non«
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Besoin : « J’ai besoin de repos et d’être seul·e ce soir«
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Demande : « Est ce qu’on peut se voir un autre jour ? »
Poser une limite avec la méthode DESC.
Il s’agit là aussi d’un outil pour verbaliser une limite, voire une critique, selon 4 étapes :
- Décrire ce qui ne convient pas, aussi factuellement que possible
- Expliquer ce que ça nous fait ressentir
- Solution qu’on propose, ou qu’on demande de trouver
- Conclure par ce que ça nous apporterait (facultatif)
Apprendre à recevoir le « non » de l’autre.
Essayez de vous souvenir d’un moment où on vous a exprimé un refus, une critique. Essayez d’observer ce que ça vous fait ressentir dans votre corps, ce que disent vos pensées, ce que vous avez envie de faire spontanément. Puis, essayez de trouver au moins une « pensée alternative », c’est-à-dire une pensée plus nuancée, peut-être plus réaliste, et voyez ce qui change au niveau de vos ressentis.
On en parle ensemble ?